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Justice borgne


Cela fait déjà une heure que je poireaute dans l’Espace d’attente, « Les Pas Perdus ». Après avoir relu mes notes, mon esprit vagabonde et je me dis qu’il y a 47 ans, jour pour jour, j’étais dans les douleurs de l’accouchement (sans péridurale), à cette même heure, dans un établissement public hautement plus aseptisé, sinon accueillant.

Ici, l’administration judiciaire n’ a surement pas osé appelé cet espace « salle d’attente », vu l’aspect peu accueillant de l’endroit. Une entrée un peu élargie, en plein courant d’air, aux murs qui n’ont surement pas été repeints depuis 20 ans, au plafond très haut parcouru de toiles d’araignée, au carrelage vieillot et sale, marqué d’impacts et de fissures.

En entrant ce matin dans ce palais de justice vintage, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à cette autre convocation du tribunal, 27 ans après la naissance de ma fille, pour mon divorce. Ce jour-là, mon angoisse était à son comble, et j’étais dans le brouillard à cause du cocktail, déjà conséquent, somnifères, anxiolytiques, antidépresseurs. Comment avais-je eu la force de me rendre à cette audience ? Mon avocate n’était même pas là, un empêchement de dernière minute parait-il, et m’avait envoyé au pied levé, une consœur qui ne connaissait rien à mon affaire. L’un des juges m’avait demandé pourquoi je voulais divorcer. Question saugrenue ! J’avais bredouillé, complétement affolée, que c’était mon mari qui m’avait quittée, tout en laissant tomber les papiers de mon dossier, qui s’étaient honteusement éparpillés au sol.

Aujourd’hui, ce n’est pas mon mariage qui j’enterre, mais le dernier épisode de ma vie professionnelle. Légèrement stressée mais sans plus. Pour tromper l’attente, j’observe le ballet des avocats et des autres convoqués « faillite civile » qui attendent comme moi, le moment où ils seront appelés dans la salle d’audience. Tous des gens d’allure modeste. J’imagine la raison de leur présence ici : l’entrepreneur du bâtiment malchanceux, aux airs de bon gars bien embarrassé, un autre au look de petit chef d’entreprise un peu véreux, un couple de quinquagénaires, présentant des signes de handicap moteur, sûrement une faillite civile, ( l’équivalent d’un dossier de surendettement en Alsace-Moselle), un autre jeune homme très angoissé assis à côté de moi, également en faillite civile, et à qui je dis quelques paroles gentilles pour le réconforter. Il me confie que c’est la première fois qu’il met les pieds dans un tribunal, et qu’il ne s’attendait pas à attendre aussi longtemps.

Enfin, c’est mon tour, je passe en dernier. Deux heures d’attente, pour cinq minutes à expliquer mon cas au juge et à justifier pourquoi je demande la liquidation judiciaire. Jugement rendu demain, qui scellera le sort de l’ association que j’ai créée il y a dix ans et de ses salariés.


 
 
 

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