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Mes coups de cœur

Sur cette page, je souhaite partager mes commentaires sur des livres que j'ai aimés,  écrits par des auteur.e.s contemporain.e.s, méconnu.e.s ou peu connu.e.s. 

Les désarrois du professeur Mittelmann

Les désarrois du professeur Mittelmann, de Eric Bonnargent

  Je n’aurai jamais découvert ce livre si je ne l’avais pas reçu dans le cadre de ma participation à un jury de prix littéraire. Sa présentation non classique m’a d’abord déroutée et déplu : pourquoi trois parties en pages grises au milieu des pages blanches, pourquoi les titres de chapitres ressemblant à des étiquettes faites avec une vieille étiqueteuse Dymo ?

   Le livre raconte le parcours d’un professeur de philosophie, de ses études jusqu’à sa retraite en 2020, tout en mêlant vie personnelle et réflexions sur notre époque. J’étais peu motivée, mais il fallait bien me lancer dans la lecture. Et d’emblée, le premier chapitre m’a emportée, par son style d’abord, quand l’auteur décrit avec humour et autodérision le physique du professeur arrivé à la retraite. Très réjouissant à lire.

   Dès la page 12, je me suis identifiée à cette personne vieillissante qui ne comprend plus son époque, et dans laquelle toute allusion un tant soit peu discriminatoire est mal venue. L’auteur effleure ainsi avec humour des sujets d’actualité polémiques : la religion, l’homophobie, la confusion des genres…  

   L’histoire m’a plu aussi car elle parle d’une personne de ma génération (à quelques années près), elle me rappelle des évènements politiques des années 80 et 90, et dresse des portraits très justes et succulents de personnages de l’époque :   les parents cégétistes de Mittelmann, les parents bourgeois et de droite de sa femme, plus tard, le chef d’entreprise à la cool qui montre qu’il a réussi, les collègues profs, plus préoccupés par leur emploi du temps que par leur matière à enseigner...

D’autres thèmes abordés sont très bien observés, comme la vie dans la cité dortoir où le Pr Mittelmann est muté au milieu des années 90.  Ambiance de déprime assurée !

   Je me suis régalée avec les trois chapitres en pages grises, qui sont en fait des monologues du professeur face à une classe de terminale, à différentes époques de sa carrière  (1991, 2004 et 2018) J’ai revécu mes cours de philo de terminale ( surtout le cours de 1991, année la moins éloignée de ma propre scolarité). J’avais l’impression d’être dans la classe et d’assister au cours, et d’avoir la mémoire rafraichie par toutes ces notions de philosophie, ce qui m’a procuré un grand plaisir intellectuel. Les interactions du professeur avec les élèves sont très réjouissantes, en lisant, je les voyais ces élèves, l’indiscipliné qui garde le walkman sur les oreilles, l’élève qui ne comprend aucun mot un peu savant…

   Au fil des années qui passent, on ressent bien l’évolution du professeur et des élèves, et des rapports professeur / élèves. Ainsi Mittelmann passe des noms de famille aux prénoms, lorsqu’il fait l’appel (en 2018, c’est sur tablette !), du vouvoiement au tutoiement. On sent que c’est du vécu, même si l’auteur, qui enseigne également la philosophie, a dix ans de moins que son personnage.

   En 2004 par exemple,  le prof a déjà plus de mal à tenir sa classe, les élèves sont plus dissipés. Il y a six pages de monologue de rappel à l’ordre avant que le cours ne commence vraiment, et tout à coup, à partir du comportement perturbateur d’un élève, le prof réussit à placer Sartre, Simone de Beauvoir, l’existentialisme et la liberté selon Sartre. C’est jubilatoire ! j’étais moi-même captivée par le cours, alors que des élèves bavardent jusqu’à être mis à la porte, qu’un autre se déchausse, un autre dort, un autre encore insulte son voisin, rote (ou pète, je n’ai pas bien saisi !). Le prof récupère l’ indiscipline ambiante au profit de son propos philosophique. Il place ainsi James Joyce, Flaubert, Nietzche…, Fernando Pessoa. Puis en 2018,  à partir d’un cours sur le temps et la durée, il développe, mine de rien,  une réflexion sur la vieillesse et la mort, évoque Apollinaire, Corneille (le Cid), Jean Anouilh (Antigone), Proust, Jacques Brel, Dino Buzzati. Au passage, il égratigne l’ignorance culturelle de ses élèves, (qui ne lisent plus)  ainsi que l’ incurie de certains en matière d’orthographe et de compréhension du sens des mots. A partir du thème de la vieillesse, le prof réussit à intéresser des adolescents en leur parlant d’eux-mêmes et de leur avenir. Magistral ! En ce qui me concerne, j’ai été (re)nourrie par les cours du Pr Mittelmann et motivée à (re)découvrir tous ces auteurs et philosophes

   J’ai beaucoup aimé ce livre car la lecture en était pour moi réjouissante, voire jouissive,  et intellectuellement nourrissante. Parfois j’ai ri en lisant, et j’ai mieux compris quels pouvaient être les états d’âme d’un professeur de lycée. Et bien que l’auteur évoque le désenchantement contemporain ( comme il est écrit sur la 4ème de couverture), il met un bémol car le livre finit sur une note, selon moi, lucide mais positive. 

Les lecteurs découvriront surement dans ce roman beaucoup d’autres réflexions sur notre société contemporaine ou sur des thèmes plus intimes, que je n’ ai pas évoqué ici. Mais n’est ce pas le propre d’un bon livre de faire écho au plus grand nombre, que chacun y retrouve avec plaisir, la ou les pensées qui l’habitent ou le préoccupent.

C’est une lecture que je vous recommande, que vous soyez profs ou pas, vieux ayant dépassé la soixantaine ou pas.  

le 25 janvier 2024

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